Respecter le principe d’autonomie personnelle lors de la prise en charge des détenus en grève de la faim
Un détenu se plaignait d’avoir été, à l’annonce de sa décision de démarrer une grève de la faim, immédiatement placé en isolement puis transféré et hospitalisé dans la foulée en secteur fermé de psychiatrie au Centre Hospitalier Princesse Grace (CHPG) pour évaluation de son risque suicidaire, sans raison selon lui.
Le Haut Commissariat avait alors souhaité se pencher plus avant sur la question générale du traitement des détenus en grève de la faim, dans la mesure où cette réclamation faisait écho à d’autres cas préalablement portés à sa connaissance, qui avaient pu donner le sentiment que l’hospitalisation sous contrainte d’un détenu ayant entamé une grève de la faim avait pu parfois constituer une réponse peut-être un peu trop hâtive et/ou systématique, sans volonté affichée d’aller à l’encontre de la protestation du détenu, mais pouvant indirectement y conduire compte tenu du régime de détention très éprouvant en chambre sécurisé de psychiatrie au CHPG.
Aussi il avait paru utile au Haut Commissariat que l’attention de l’administration pénitentiaire et du service médical de la Maison d’arrêt soit appelée sur l’importance du respect du principe d’autonomie personnelle, protégé par la CEDH sur le fondement du droit au respect de la vie privée, lors de la prise en charge d’un détenu en grève de la faim[1].
Ce principe implique en effet qu’une personne, y compris incarcérée, demeure libre de disposer de son corps et donc de décider par exemple de ne plus s’alimenter, son choix - même potentiellement dangereux pour elle - devant être respecté par l’établissement qui en a la garde, dans la limite de l’obligation positive qui incombe à l’Etat de protéger sa vie et son intégrité physique lorsque la grève de la faim a atteint un stade mettant en jeu sa survie.
Ainsi, seules des considérations d’ordre médical liées à l’état somatique du patient si la grève de la faim était amenée à durer ou à son état psychique, laissant apparaître une fragilité particulière attestée par d’autres facteurs que le seul démarrage d’une grève de la faim, peuvent justifier une hospitalisation sous contrainte[2], étant rappelé que la mise à l’isolement administratif d’un détenu au motif d’une grève de la faim est quant à lui par principe exclu, sauf à ce qu’il puisse être justifié par une nécessité avérée « de protection ou de sécurité » (article 41 de l’Ordonnance Souveraine n° 3.782 du 16 mai 2012 portant organisation de l’administration pénitentiaire et de la détention).
[1] Cf. notamment, CEDH, 29 avril 2022, Pretty c/ Royaume-Uni, § 61 et 62 ; CEDH, 5 avril 2005, Nevmerjitski c/Ukraine, § 93 et 94 ; CEDH, 6 mars 2007, Ozgul c/ Turquie ; CEDH, 17 janvier 2013, Karabet et al. c/ Ukraine
[2] En France, le Comité Consultatif National d’Ethique rappelle ainsi que « le médecin confronté à une grève de la faim a le devoir d’emblée d’informer la personne des risques qu’elle encourt sans influer sa détermination ni peser sur les causes qui ont pu présider à celle-ci. Son attitude doit être totalement neutre. Il est important que cette information médicale soit réitérée à plusieurs reprises dans le cadre d’un dialogue qui respecte les motivations qui ont présidé à cette grève de la faim » (Avis CCNE n° 94 du 26 octobre 2006, La santé et la médecine en prison). De même, le Conseil National de l’Ordre des Médecins a pour doctrine qu’un médecin ne peut imposer l’hospitalisation à une personne détenue consciente et ne souffrant pas de troubles mentaux, s’il ne l’a pas obtenue par la négociation (cf. notamment, p. 9 du Rapport de vérifications sur place du Contrôleur général des lieux de privation de liberté français à l’Hôpital Raymond-Poincaré de Garches, sur la situation d’une personne détenue en grève de la faim pendant 69 jours, septembre-octobre 2017).