17 juin 2024

Discrimination en raison de l’orientation sexuelle et nécessité de garantir des droits sociaux équivalents

Cette recommandation générale résulte de nombreuses saisines qui nous sont parvenues et laissent apparaître l’impossibilité, pour les personnes de même sexe légalement mariées à l’étranger ou liées par un Contrat de Vie Commune (CVC), de pouvoir bénéficier, en cas de décès du conjoint affilié, de la pension de réversion, de même que la récente perte du bénéfice de la réversion de la pension de retraite complémentaire à la suite de l’adoption de la loi n°1.544 du 20 avril 2023. 

C’est plus largement la question de l’accès aux droits sociaux qui se pose ici, étant admis qu’un couple de même sexe légalement uni (à l’étranger ou par un contrat de vie commune monégasque) n’a pas les mêmes droits qu’un couple de sexe différent légalement uni (à l’étranger).

A cet égard, le Haut Commissariat a relevé que le modèle économique du pays implique qu’une majorité de salariés réside dans des Etats limitrophes où les mariages entre personnes de même sexe sont reconnus. Priver ces salariés d’une partie des effets en matière sociale d’unions légalement conclues à l’étranger est donc largement ressenti par un nombre croissant de personnes comme une discrimination manifeste, en témoigne les problématiques publiquement soulevées par l’association « Mon’arcenciel » récemment créée. 

Dans sa recommandation, le Haut Commissariat a rappelé que, dans ses jurisprudences les plus récentes, la Cour Européenne des Droits de l’Homme consacre désormais l’obligation positive des Etats de se conformer à l’article 8 de la Convention relatif au respect de la vie privée en offrant à ces couples une protection juridique adéquate ouvrant des droits et obligations équivalentes à celles des couples hétérosexuels se trouvant dans des situations similaires en évitant toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. 

Le Haut Commissariat a précisé que, selon la jurisprudence de la Cour européenne, les Etats parties n’ont pas l’obligation d’instituer dans leur droit interne le mariage entre personnes de même sexe, mais leur marge d’appréciation dans la mise en œuvre de leurs obligations est restreinte, faisant varier son étendue en fonction de différents facteurs et la réservant au choix des formes juridiques d’union offertes aux couples de même sexe (mariage et/ou union civile, contrat…). 

Le Haut Commissariat a ajouté que le juge européen rejette désormais le motif de protection de la famille traditionnelle au titre de la préservation de l’intérêt général car il estime que rien ne permet de considérer que la reconnaissance et la protection juridiques des couples homosexuels engagés dans une relation stable pourrait, en soi, nuire aux familles constituées de manière traditionnelle ou en compromettre l’avenir et l’intégrité.

Ainsi, le Haut Commissariat estime que l’invocation par le Gouvernement monégasque du concept d’ordre public pour justifier de la non reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe et de ses effets en termes de droits sociaux n’apparaît plus recevable. 

En outre, le Haut Commissariat a relevé que de récentes jurisprudences témoignent d’une réévaluation progressive de la notion d’ordre public, par nature évolutive, en Principauté. Ainsi, le 4 juillet 2022, était rendue une décision du Tribunal Suprême autorisant la rectification de l’acte de naissance d’une personne transgenre, de nationalité franco-monégasque, qui souhaitait, d’une part, que la mention « sexe féminin » soit remplacée par la mention « sexe masculin » et, d’autre part, que son prénom d’origine soit remplacé par un autre, choisi de son chef. 

Par ailleurs, la Cour d’appel de la Principauté, dans un arrêt du 28 septembre 2023, a estimé qu’il ne peut être considéré que l'interdiction du mariage entre personnes de même sexe serait aujourd'hui une valeur intangible en Principauté justifiant que l'exception d'ordre public soit actionnée pour empêcher la transcription d’un mariage valablement contracté à l'étranger entre personnes de même sexe. La Cour de Révision, dans sa décision du 18 mars 2024, est revenue sur le jugement précité, considérant la transcription sollicitée contraire à l'ordre public international monégasque. Dans cette même décision, ladite Cour a cependant souligné que la CEDH exige que les Etats offrent une reconnaissance et une protection juridique adéquate respectant l'orientation sexuelle des couples de même sexe ainsi que leur vie privée et a estimé que tel est bien le cas en Principauté, puisque a été adoptée le 17 décembre 2019 la loi n° 1.481 organisant les contrats civils de solidarité pour les partenaires du même sexe.

Le Haut Commissariat partage la lecture des autorités selon laquelle une appréciation large de la définition de la vie familiale n’impose pas l’institution du mariage entre personnes de même sexe, dès lors qu’il existe un mécanisme juridique permettant une union civile offrant une protection adéquate.

Le Haut Commissariat considère toutefois également que l’absence de la possibilité de mariage entre personne de même sexe en Principauté n’est pas incompatible avec le respect des autres aspects de la jurisprudence européenne, notamment dans le domaine des droits sociaux. Ainsi, le Haut Commissariat estime que le respect des obligations positives découlant de l’application de l’Article 8 de la CEDH, imposant que les couples de même sexe légalement mariés ou unis par un contrat bénéficient effectivement de la même reconnaissance et protection juridique que les couples hétérosexuels se trouvant dans la même situation, implique un accès équivalent aux droits sociaux.

En conformité avec l’évolution de la notion d’ordre public et de sa portée, notamment à la lumière des dernières décisions des jurisprudence nationale et européenne, et afin d’éviter toute discrimination injustifiée à l’égard des couples de même sexe, le Haut Commissariat a donc recommandé aux autorités compétentes de prendre les mesures réglementaires et législatives adéquates afin de permettre l’accès aux droits sociaux, dont la pension de réversion, pour les couples unis légalement à l’étranger ou liés par un CVC, sans discrimination à raison de leur orientation sexuelle.